Le Pérou au féminin : Et aujourd’hui, qu’en est-il ? (4/4) 

De retour en 2023, cet article est dédié aux femmes de notre siècle. Celles que vous rencontrerez lors de votre séjour au Pérou et celles qui vivent au quotidien à la ville ou à la campagne.

Si vaste est le territoire qu’il est difficile de résumer la condition de la femme du Pérou de manière concise sans s’appuyer sur des exemples de différentes régions afin de présenter une diversité de profil de femmes péruviennes. Selon les villes et les régions, leur quotidien diffère également du milieu plus ou moins urbain dans lequel elles vivent. En illustration, et pour le plaisir des yeux, le photographe Yayo Lopez a pris le temps de faire des clichés et portraits afin de montrer les différentes facettes de la beauté péruvienne. 

Photo de l’exposition Belleza Peruana de La Galería del Centro Cultural de la Universidad de Lima 

Source : https://www.ulima.edu.pe/pregrado/comunicacion/noticias/fotografo-yayo-lopez-presenta-belleza-peruana-en-la-galeria 

Certaines études et statistiques annoncent tristement Lima comme l’une des villes les plus dangereuses du monde, par rapport aux insécurités et violences faites aux femmes, d’après le rapport de la Convoca, organisme de vigilance du Pérou. La pandémie de la COVID-19 a accentué le phénomène, cette année plus de 915 femmes, dont 600 mineures ont disparu seulement pendant les trois mois de confinement. Ces disparitions sont souvent liées à des actes de violences. A la fin de l’année 2020, on rapporte 5521 adolescentes et jeunes filles disparues, selon le Ministerio de la Mujer y Poblaciones Vulnerables (MIMP), le ministère des femmes et des populations vulnérables. Ces statistiques sont à prendre avec précaution car elles ne reflètent qu’une seule partie de la réalité, puisque la plupart des viols ou agressions sexuelles, notamment dans les zones rurales ou reculées, ne sont pas dénoncés. La difficulté des autorités réside dans l’organisation et la prise en charge de ces plaintes, car il n’y a pas de registre national de personnes disparues régi par le gouvernement, qui avait pourtant fait l’objet d’une demande en 2003. Le Pérou ne compte pas de site officiel afin de recenser ce genre de cas, alors ce sont les médias et les réseaux sociaux qui tentent de faire justice. Mais là encore, la désinformation et le fait de relayer des faits incomplets rendent la tâche difficile. On se heurte donc à un problème structurel, de manque de moyens et d’un manque de prise de conscience du problème à toutes les échelles.  

Il faut dire que les femmes reviennent de loin, notamment sous le régime de Fujimori, le président du Pérou entre les années 1996 et 2000, où des campagnes de stérilisations forcées ont été réalisées dans un cadre de contrôle de la natalité. On recense près de 300 000 femmes majoritairement des régions indigènes quechua qui auraient été opérées contre leur volonté et présentent encore aujourd’hui les séquelles. Vingt ans plus tard, la justice n’a pas encore été rendue et ces femmes restent toujours dans le silence.

Femme des hauts plateaux des Andes
Source : https://information.tv5monde.com/terriennes/au-perou-300-000-femmes-sterilisees-de-force-3332

Dans le documentaire « le ventre des femmes », certaines acceptent de témoigner sur toutes ces atrocités, notamment de l’humiliation et la violence. Cet épisode de l’histoire laisse un goût amer à toute la communauté de défense des droits des femmes et des femmes indigènes. Rappelons que Fujimori est actuellement condamnée à 25 ans de prison mais que son jugement pour ces stérilisations de force de n’est pas abouti.  

A titre mondial, le Pérou se place en troisième place dans le monde en termes de violence contre les femmes et féminicides. Le problème est que les autorités jugent souvent que ce sont les femmes qui vont être à l’origine des abus et c’est leur comportement qui justifie que leurs compagnons s’en prennent à elles. Les traditions et la religion ont un impact tout particulier sur ce phénomène qui laisse le quotidien des Péruviennes encore dans un schéma très genré. Rappelons que l’avortement n’est pas autorisé au Pérou, bien que le débat soit souvent relancé. Dans un pays où 83% des habitants sont croyants catholiques, les discours “pro-vie” sont majoritairement relayés et la famille représente une place très importante.   

Pourtant les femmes ne se laissent pas faire et les violences faites aux femmes sont de plus en plus révélées au grand jour. Le 8 mars, la journée internationale des droits de la Femme en est l’occasion
et s’inscrit dans tous les mouvements féministes d’Amérique du Sud, faisant ainsi écho aux manifestations en Argentine ou encore au Chili des années 2010. Les « luchadoras », (littéralement « celles qui luttent ») le sont dans les marches de protestation ou les manifestations, mais c’est un terme que l’on emploi d’avantage pour le quotidien en référence à toutes celles qui ont du caractère étant toujours prêtes à se débrouiller pour faire survivre leur famille avec des moyens très restreints. Une des pistes pour que les femmes péruviennes puissent s’émanciper professionnellement et personnellement sont les collectifs de femmes entrepreneures, notamment les associations d’artisanat, de mode ou encore de cosmétique. A cela se couple bien souvent une dimension écologique et durable pour s’inscrire dans une dynamique d’économie locale.  

Le Pérou ne sera pas décrit comme un pays « machist », du moins, pas autant que le Brésil, l’Espagne ou l’Italie. Cependant on peut voir que dans le quotidien, les rôles sont toujours très genrés aussi bien au sein du foyer que dans la vie professionnelle.  

« Mamita », « casera », « mamacita linda »

Au quotidien, on peut entendre très souvent ces surnoms, des surnoms affectifs mais qui illustrent bien la place que les femmes ont dans l’imaginaire collectif, à la fois une femme, une mère, une sœur, une cousine. Dans le tourisme, troisième secteur d’activité du Pérou, les femmes se retrouvent en première ligne dans de nombreux corps de métiers : que ce soit de l’hôtesse d’accueil qui vous reçoit à l’aéroport, jusqu’à la réceptionniste de votre hôtel, le restaurant local dans lequel vous allez manger, où la famille où vous pouvez expérimenter une nuit chez l’habitant, ce sont des femmes que vous allez rencontrer. Les secteurs du transport et du guidage restent majoritairement effectués par les hommes. C’est toujours avec une grande implication et efficacité que les tâches sont effectuées, et cela avec une très grande amplitude horaire.   

L’historienne Rosi Villanueva dira que la « femme péruvienne gère son entreprise ou son commerce de la même manière que son foyer ou sa famille », il y a donc une grande partie émotionnelle qui sera impliquée dans le démarchage et la construction du projet. Des tentatives pour mettre en avant le travail des femmes sont en train d’émerger mais cela reste un schéma très traditionnel et les « petites mains » des femmes sont souvent utilisées sans être valorisées à leur juste valeur. 

Si vous avez l’opportunité de séjourner dans une maison chez l’habitant, les « casas vivenciales » – et nous vous encourageons fortement pour cette expérience, vous pourrez également observer ce phénomène de femme qui tient la maison en faisant les tâches ménagères, la cuisine, l’entretien et l’organisation en général. Vous ne serez d’ailleurs pas déçus de la recette de la soupe de quinoa qui se transmet de mère en fille. La transmission des traditions et plus particulièrement, de mère en fille est d’ailleurs très importante, pour le tissage, les jeunes ont une succession de motifs à apprendre avant leurs quatorze ans, afin de marquer le passage de l’adolescence à l’âge adulte.  

Photo d’une femme devant son métier à tisser à Chinchero

Du fait qu’elles restent également plus souvent dans le foyer, leur niveau d’espagnol est en général moindre que celui des hommes, qui eux sont plus souvent à l’extérieur et donc plus enclins à faire de nouvelles rencontres et à pratiquer une seconde langue, en plus du quechua ou aymara. Dans les Andes, l’espagnol est maintenant utilisé pour tous les échanges et les affaires, jusqu’aux communautés les plus reculées, où, grâce à des fonds nationaux et internationaux, des écoles sont construites. Une aide, qui permet aussi bien aux garçons, qu’aux filles d’obtenir des bases afin de lire et écrire, en quechua et espagnol.

Afin de vous présenter les femmes qui ont un impact directement dans votre voyage au Pérou, voici cette rubrique « Portrait de femmes », qui présentent celles avec lesquelles nous travaillons et qui sauront vous accueillir et vous faire partager leur quotidien avec une immense générosité. Merci à elles pour leur travail, leur implication dans la promotion d’un tourisme durable et responsable.

Portrait de femmes:  

Selia : Cuisinière talentueuse, Selia s’est fait licencier des grands restaurants de Cusco quand elle est tombée enceinte. N’ayant jamais abandonné, elle a alors monté son petit restaurant où nous allions manger régulièrement depuis quelques années. Alors que la crise l’a durement frappé comme pour beaucoup de restaurateurs, nous avons monté en sa compagnie une nouvelle option de cours de cuisine que nous vous proposons dans nos itinéraires. Une option permettant de la rencontrer, d’apprendre à cuisiner comme des chefs et de partager une superbe demi-journée en sa compagnie.  

Natividad : Recevant des touristes sur le trek d’Huchuy Qosqo, Natividad fut l’une des 1ères à développer une initiative de tourisme communautaire proche du complexe archéologique du petit Cusco dans la vallée sacrée. Alors que son mari Silverio est souvent aux champs, c’est elle qui reçoit et dorlote nos groupes depuis des années dans sa maison colorée. Excellente cuisinière, Natividad nous prépare toujours d’agréables petits plats à notre arrivée chez elle. Souriante et dynamique elle aime également chanter et danser en compagnie de ses hôtes.  

Julia –: Vivant au cœur des plantations de café et de cacao, Julia nous reçoit également depuis des années dans sa maison à Huayopata. Ingénieur agronome de profession, Julia est une véritable Bible pour toutes les personnes ayant la chance de partager une journée en sa compagnie. Aimant partager ses connaissances avec ses hôtes, Julia nous emmène toujours au cœur de ses plantations de café mais aussi de cacao, d’arbres fruitiers et de plantes médicinales en nous offrant à chaque fois de mémorables cours et leçons de botanique.  

Esther : Présidente de l’Association de Turismo Vivencial de Raqchi, Esther est une importante partenaire de l’agence depuis des années. En plus de recevoir nos clients comme des rois, Esther leur enseigne également l’art de la céramique et leur propose à chaque passage de découvrir les costumes, les fêtes et les traditions de la région. Avant le covid, son rôle au sein de la communauté permettait d’organiser des rencontres et des moments de partage de plus grande ampleur avec l’ensemble des femmes de Raqchi. Du fait de la pandémie, Esther nous a indiqué que pour le moment les visites et les moments de partage ne peuvent se faire qu’avec elle et sa famille proche. Les choses reviendront peut-être à la normale à l’avenir.  

Rosa Maria :  Originaire d’Arequipa et ayant grandi sur les bords du lac Titicaca, Rosa Maria est guide de tourisme et spécialiste en anthropologie. Difficile de trouver une personne maitrisant mieux l’histoire et les traditions des civilisations du plus haut lac navigable au monde. Considérant chacun des groupes que nous lui confions comme « ses enfants », Rosa Maria est un véritable boute-en-train avec qui nous travaillons maintenant depuis de nombreuses années.  

Julia – Canocota :  Vivant dans le Colca au sein du petit village de Canocota, Julia est un peu notre grand-mère à tous chez Pasion Andina. C’est avec un immense bonheur que nous nous rendons chaque année chez elle en compagnie de nos clients. A l’image de Natividad à Huchuy Qosqo, Pedro et Julia furent les premiers à lancer une initiative de turismo vivencial à Canocota. Alors que son mari Pedro nous a malheureusement quitté il y a quelques années, Julia tient à présent seule les rênes de sa charmante petite maison. Excellente cuisinière, Julia nous enseigne également toujours les propriétés médicinales des différentes plantes de la région lors d’expériences partagées aux champs. Bavarde, elle apprécie également de pouvoir conter les mythes et les légendes du coin aux personnes dormant chez elle.  

A nouveau, nous rappelons que le Pérou est un pays très grand alors qu’il est nécessaire de ne pas faire des généralités sur la condition des femmes par rapport au quotidien des femmes de la capitale de Lima ou encore des femmes vivant dans les Andes, la réalité est bien plus complexe et n’est pas figée. Une chose est sûre, les femmes n’ont pas fini leur chemin vers l’émancipation en comparaison avec d’autres pays occidentaux, cependant le quotidien s’améliore. L’Etat péruvien doit prendre les mesures nécessaires pour la protection et la sécurité des Péruviennes afin de réduire ses agressions et violences. Porté par des figures féminines complètes et inspirantes, comme les femmes de pouvoir du Pérou ancien, ou encore des militantes, guerrières, artistes, chercheuses, scientifiques à partir du 19me siècle, les jeunes péruviennes ont de véritables modèles afin de continuer à créer la renommée du Pérou, à petite ou grande échelle.

Nous vous remercions d’avoir suivi cette série d’article et espérons que ce format vous a plu.
Pour en savoir plus sur l’histoire du Pérou et ses thématiques culturelles, ainsi que réaliser un voyage au Pérou, n’hésitez pas à nous contacter.

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Sources de l’ensemble des articles de la serie « Pérou au femini » :  

Youtube, TeleSUR English, “More Than 900 Women Disappeared In Peru During The Quarantine”
https://www.youtube.com/watch?v=4tLmFvqisHY  

Information TV5 Monde, “Au Pérou, près d’un millier de femmes ont disparu pendant le confinement”
https://information.tv5monde.com/terriennes/au-perou-pres-d-un-millier-de-femmes-ont-disparu-pendant-le-confinement-369781

Revue démocratie, “Interview de Zuliana Lainez, le Temps des femmes au Pérou” 

http://www.revue-democratie.be/index.php?option=com_content&view=article&id=1352:interview-de-zuliana-lainez-le-temps-des-femmes-au-perou&catid=17&Itemid=133

Information TV5 Monde, “Le Pérou à des travers ses écrivaines oubliées de l’Histoire”  

https://information.tv5monde.com/terriennes/le-perou-travers-ses-ecrivaines-oubliees-de-l-histoire-2981 

Information TV5 Monde, “Stérilisation forcée au Pérou: Alberto Fujimori face à la justice, un procès pour l’histoire” 

https://information.tv5monde.com/terriennes/sterilisations-forcees-au-perou-alberto-fujimori-face-la-justice-un-proces-pour-l 

Information TV5 Monde, “Au Pérou, 300 000 femmes stérilisées de force” 

https://information.tv5monde.com/terriennes/au-perou-300-000-femmes-sterilisees-de-force-3332 

Una pizca de Cine, Musica, Historia y Arte, “Chabuca Granda”  

https://unapizcadecmha.blogspot.com/2013/03/chabuca-granda.html 

Arequipa Tradicional, “La Monja Gutierrez” 

https://arequipatradicional2.blogspot.com/2020/03/la-monja-gutierrez.html

Le petit journal, Les femmes dans le processus d’indépendance du Pérou

https://lepetitjournal.com/lima/vivre-lima/femmes-independance-perou-317459 

Palos al Viento, “La mujer en la historia piurana y peruana” 

http://palosalviento.blogspot.com/2015/11/la-mujer-en-la-historia-piurana-y.html 

Sara Beatriz Guardia, “Tres mujeres en la construcción de la República: Dominga Gutiérrez, Francisca Zubiaga y Flora Tristán” 

https://www.cemhal.org/anteriores/2017_2018/2_3_SBG.pdf 

Armando Guevara Gil, “Entre la libertad y los votos perpetuos : el caso de la monja Dominga Gutiérrez (Arequipa, 1831)” 

https://repositorio.pucp.edu.pe/index/bitstream/handle/123456789/114459/9908-Texto%20del%20art%C3%ADculo-39215-1-10-20140802.pdf?sequence=2&isAllowed=y  

Pierre Luc Abramson, “Flora Tristan et la politique péruvienne”  

https://www.la-colonie.org/public/wp-content/medias/2017/10/Flora-Tristan-et-la-politique-p%C3%A9ruvienne.pdf

Convoca, “Covid-19: ¿A quién le importa las 915 peruanas desaparecidas durante la cuarentena?” 

https://convoca.pe/especial/covid-19-quien-le-importa-las-915-peruanas-desaparecidas-durante-la-cuarentena 

Metrica, “Las 20 mujeres más influyentes en la historia del Perú” 

https://metrica.pe/blog/las-20-mujeres-mas-influyentes-en-la-historia-del-peru/ 

Sitio web del districto de Miraflores, “Chabuca Granda: la compositora peruana más universal” 

https://www.miraflores.gob.pe/chabuca-granda-la-compositora-peruana-mas-universal/ 

Las Capullanas   

https://fr.slideshare.net/monileti/las-capullanas-historia  

Guaman Poma, Nueva corónica y buen gobierno (1615), “LA PRIMERA COIA” 

http://www5.kb.dk/permalink/2006/poma/121/es/text/?fbclid=IwAR00kqUTrG1Ju9eTcGGOABtbmaFE-kFqv7KgR4HdQ3RfEDbRj3DU_GX9wjo&open=idp195200 

Maritza Villavicencio, “Femme, pouvoir et alimentation dans le Pérou ancien” (2017) 

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Bertrand

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