Le Pérou au féminin : La Dame de Coa, les Coyas, et la momie Juanita, des femmes de pouvoir (1/4)

A l’heure de mouvements nationaux et internationaux pour une meilleure qualité de vie et l’égalité entre les hommes et les femmes, il était important de nous poser la question de la situation au Pérou et de quel était le rôle de la femme dans notre société; de voir quels sont les changements et les perspectives concernant cette thématique.  

 Avant de vous parler des femmes contemporaines du Pérou, revenons un peu en arrière pour comprendre quelle était la place des femmes dans les sociétés précolombiennes. On estime que le rôle de la femme dans la société préhispanique était trés important et les recherches récentes vont dans ce sens. Nous vous présentons la première partie notre série “Le Pérou au féminin”.
 

La Dame de Coa, les Coyas, et la momie Juanita, des femmes de pouvoir 

Comme l’évoque l’historienne  Maritza Villavicencio dans son livre “Femme, pouvoir et alimentation dans le Pérou ancien”, les hypothèses des chercheurs  mènent à penser que les sociétés étaient davantage matriarcales que patriarcales, notamment en s’appuyant sur la manière d’enterrer et de momifier les défuntes. De nombreuses fouilles dans les régions de Lambayeque et de La Libertad, dans le Nord du Pérou, montrent que certaines femmes, de l’élite probablement, avaient également de hautes fonctions dans la société.

L’un des témoignages les plus importants est probablement celui de la “Dame de Cao”, que l’on nomme également la “Dame aux tatouages” pour la grande quantité de motifs retrouvée sur sa peau, notamment des araignées et des serpents. Trouvée en 2004, la momie daterait de l’époque précolombienne, de la culture Moche. Elle est découverte dans le site archéologique El Brujo, près d’une huaca, qui est une pyramide ayant un rôle à la fois politique et religieux. Elle a été retrouvée avec des objets précieux, ce qui suggère qu’elle était une personne influente chez les Mochicas et probablement une guérisseuse ou dirigeante de la vallée de Chicama. Actuellement, la momie repose au musée du site El Brujo (https://www.elbrujo.pe/en  et fait régulièrement l’objet d’études archéologiques et scientifiques afin d’essayer de comprendre au mieux la répartition entre les rôles des hommes et des femmes dans la société, ainsi que la conception du pouvoir dans l’Ancien Pérou. La momie est en parfait état de conservation, on y voit encore des fragments de peau, ainsi que des cheveux. C’est pour cette raison que de nombreuses recherches s’appuient sur ce vestige et le définissent comme une des pièces les plus importantes de la culture Moche.

Image de la Dame de Cao, musée El Brujo (source : https://www.elbrujo.pe/en)

Les objets retrouvés dévoilent souvent leurs secrets au fil du temps, aidés par la technologie qui permet d’étudier des vestiges toujours plus précisément. Les recherches concernant ce sujet sont encore très récentes mais évoluent. Par exemple, les fouilles qui auraient amené à penser qu’une des momies retrouvée, le “Seigneur de Úcupe” était un homme, démontrent en réalité qu’il s’agit bien d’une femme. On peut également citer la Prêtresse de Chornancap ou la Prêtresse de San José de Moro dans la vallée de Jequetepeque qui renforce l’idée que des femmes avaient à la fois des hautes fonctions dans le domaine administratif mais également religieux.

Dans le Nord du Pérou, dans l’actuelle région de Piura et Tumbes, on parle également des femmes Capullanas ou Tallaponas selon d’autres écrits. On leur doit ce nom en raison de leurs vêtements qui les couvraient jusqu’aux pieds. Les chroniques décrivent qu’elles étaient des femmes très fortes et d’une grande beauté avec une attitude de guerrières lorsque les Espagnols sont arrivés sur les côtes du Pacifique. Elles étaient craintes aussi bien des Incas que des conquistadors. Les recherches aboutissent à une société matriarcale dont la réussite était basée sur les talents et compétences personnelles et non par le nom, par le rang, et encore moins par le mariage.  

Elles exercent pleinement leur pouvoir pour les tâches administratives, politiques et militaires. Deux théories pourraient expliquer la présence des femmes Capullanas à de si hautes positions. Dans un premier temps, on peut imaginer que lors d’un conflit, une fois qu’un des chefs était vaincu, c’était la femme qui prenait le pouvoir. D’autres hypothèses avancent que si cette dominance de gouvernance féminine était perpétuée jusqu’à la venue des Espagnols, cela signifie que le pouvoir des femmes sur la gestion des sociétés était plus avancé que l’on pourrait l’imaginer.  Elles contrôlaient l’économie locale ainsi que les échanges entre les villes et les régions.
L’une des légendes raconte que lors de son deuxième voyage, Francisco Pizarro fit face à une puissante Capullana et ne souhaitant pas parler avec, elle le mit au défi. Un des bras droits de Pizarro tomba amoureux de l’une des femmes et conduisit presque les conquistadors espagnols à la perte de la région. Cet héritage appelle encore à la réflexion concernant le rôle de la femme dans les anciennes sociétés du Pérou, et on pourra imaginer dans d’autres pays d’Amérique latine.  

Représentation d’une femme Capullana (Source : http://palosalviento.blogspot.com/2015/11/la-mujer-en-la-historia-piurana-y.html)

Dans les fondements de la cosmovision andine, il y a un principe de dualité dans tous les éléments. Par exemple, le Soleil se complète avec la Lune, la Terre avec le Ciel, le Feu avec l’Eau ainsi que l’Homme avec la Femme dans une logique d’égalité et un postulat qu’une partie ne peut pas vivre sans l’autre.  

Bien que rarement citée lorsqu’on évoque les Incas, Mama Huaco serait la première femme Inca, qui aurait donné naissance à Manco Capac, qui lui, est décrit comme le premier Inca. Les noms divergent en fonction des écrits et des chroniques, on retrouve également l’appellation de “Mama Vaco Coia” (comme ci-dessous sur la représentation) dont la partie “Vaco” aurait dérivé “Huaco” et le “Coia” serait la traduction pour “Coya”.  

Primera Coya Mama Vaco Coia (Source : https://www.artehistoria.com/es/obra/primera-coya-mama-vaco-coia)

Dans les représentations des peuples de la civilisation inca, il y a toujours l’Inca et la “Coya” qui est la femme de l’inca qui a également un rôle important. On nomme les “coyas”, les femmes qui étaient de l’élite de la société, femmes ou compagnes des Incas. Elles vivaient dans un grand luxe avec un nombre important de servantes à leur disposition.  Elles ne sortaient pas de leur palais ou seulement à de rares occasions. Si c’était le cas, elles étaient d’ailleurs portées afin que leurs pieds ne touchent jamais le sol, reléguées au statut de déesse. Les Coyas avaient tout de même un pouvoir politique dans la société et avaient de l’influence dans deux positions définies “la coya-madre”  (la “coya-mère”) ou la “coya-esposa” (la “coya-épouse”). Sur ces sujets, elles étaient écoutées par les mères et les épouses du peuple sur leurs conseils de bonne gestion du foyer.  Elles étaient également responsables, avec l’aide de toutes les femmes à leurs services, du bon déroulement des cérémonies religieuses et festives, notamment des costumes de l’Inca et des tissus à choisir.  

 En plus de la Coya, l’Inca avait de nombreuses femmes qui avaient le rôle de créer des alliances avec les hommes puissants des différents villages et régions. La légende raconte que les femmes vivaient ensemble dans une grande convivialité. Cette abondance de femmes est la raison d’une très grande descendance de sang royal qui vivait sur tout le territoire de l’Empire Inca.  

Représentation d’une coya (Source : https://www.artehistoria.com/es/contexto/misi%C3%B3n-de-la-coya)

 En parallèle des coyas, on retrouve également “aclla-cuna”,  littéralement les “femmes choisies” (ou “vierges choisies”) en quechua. Dans d’autres écrits ou recherches, on les nomme également les “Aklya Kona”, traduit par les “Vierges du Soleil”. Il s’agissait de jeunes femmes choisies pour leur beauté et pureté, enlevées dès l’enfance, entre 8 et 10 ans, à leur famille et qui vivaient enfermées dans un couvent. Certaines d’entre elles étaient sacrifiées lors de certaines fêtes religieuses. D’autres étaient mariées à des nobles et hauts dirigeants de la société. Au moment de l’apogée de l’Empire inca, on estimait à plus de 5000 jeunes filles enfermées les “aclla wasi”, ou la “casa de las Escogidas”, à traduire par “la maison des élues”. Dans ces établissements, les jeunes femmes apprennent les activités du textile, de la préparation de la “chicha” (la boisson sacrée à base de maïs fermenté), ainsi que toutes leurs éducation. Dans l’ensemble du Tawantinsuyo, ils existaient des “aclla wasi” afin de répandre et maintenir cette élite de jeunes femmes, les plus grands retrouvés sont ceux du l’actuel couvent de Santa Catalina de Cusco et de Pachacamac à Lima.

Elles étaient sous la protection et la gouvernance des “mama-aclla” qui n’étaient  pas des coyas, mais tout de même des femmes qui étaient chargées de la nourriture et des tissus lors des événements.
Lors de la conquête des Espagnols, elles étaient dirigées par La Coya Pasca, la prêtresse coya, qui représentait l’épouse terrestre du Dieu Soleil.

Toujours à l’époque inca, on retrouve aussi l’étonnante histoire de la momie Juanita que l’on surnomme également “la jeune fille des glaces”, actuellement conservée dans le Museo Santuarios Andinos d’Arequipa. En 1995, lors d’une expédition, l’archéologue Johan Reinhard et l’andiniste Miguel Zárate découvrirent quelque chose de brillant dans le cratère du volcan Ampato, à 6300 m d’altitude. Il s’agissait, en fait, du corps d’une jeune fille, très bien conservé avec de nombreux objets comme des statuettes, des tissus, des feuilles de coca. C’est l’éruption du volcan voisin Sabancaya qui aurait facilité la découverte car les cendres répandues auraient provoqué une fonte des glaces importante. C’est un destin bien tragique vers lequel nous mène cette découverte, l’enfant aurait eu environ 13 ans au moment de sa mort et a sûrement été sacrifié. En effet, certains enfants étaient choisis lors de la cérémonie de “capac cocha” afin d’apaiser les volcans et les montagnes et en vue, de demander de bonnes récoltes. La cérémonie consistait à monter en haut du sommet : Juanita, fatiguée par le froid, l’effort et la boisson chicha, elle aurait été tuée d’un violent coup derrière la tête, puis enterrée en position fœtale. La momie est exposée au public dans le musée pendant six mois de l’année et le reste d’est étudiée afin d’en chercher encore les secrets. Pendant son absence, elle est remplacée par la momie Sari. En effet, sur la même période, d’autres momies d’enfants ont été retrouvées dans le volcan par la suite, mais la momie Juanita reste la plus célèbre pour son excellent état de conservation. Morte trop tôt mais toujours vivante à travers son histoire.

 Les exemples sont encore multiples afin d’illustrer la place des femmes à l’époque précolombienne jusqu’à l’Empire Inca, et les recherches ne cessent de s’améliorer afin d’avoir des preuves de plus en plus précises sur la place de la femme dans la société péruvienne de l’Ancien Pérou. Nous vous retrouverons prochainement pour un autre article sur les femmes qui ont joué un rôle dans l’Indépendance du Pérou ; pour avancer dans l’histoire et savoir si le rôle de la femme à évoluer. 

Pour en savoir plus sur l’histoire du Pérou et ses thématiques culturelles, ainsi que réaliser un voyage au Pérou, n’hésitez pas à nous contacter.

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Bertrand

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