Le Pérou au féminin : Les femmes de l’Indépendance (2/4) 

La première partie de notre série “Le Pérou au féminin” évoquait le rôle des femmes dans la société pré-colombienne en citant notamment la Dame de Coa, les Coyas, la momie Juanita et d’autres témoignages de femmes jusqu’à l’Empire Inca. Nous revenons dans cette deuxième partie avec un exposé de femmes plus contemporaines, celles qui ont contribué à l’Indépendance du Pérou.  

Dans la lutte révolutionnaire du Pérou, de nombreuses femmes se sont illustrées, de tous horizons et classes sociales différentes : des femmes des tribus indigènes, métisses, esclaves, des aristocrates et également des femmes de lettre afin de mener à leur échelle le combat de l’Indépendance du Pérou. Le nom de Tupac Amaru est connu de tous lorsqu’on évoque la révolution péruvienne et l’indépendance du pays, cependant ce qui est moins précisé est le fait qu’il était entouré de nombreux acolytes féminins. Nous vous proposons de découvrir la portrait de certaines de ces femmes, au parcours remarquable, très peu citées dans les livres d’histoire. 

Micaela Bastidas, Tomasa Tito Condemayta, et Cecilia Túpac Amaru, au plus près de Tupac Amaru 

Le nom qui ressort sans aucun de doute de cette période significative pour le Pérou est bien entendu celui de Tupac Amaru… mais qu’en est-il de sa femme ?

Portrait de Micaela Bastidas Puyucahua
Source : https://historiaperuana.pe/biografia/micaela-bastidas-puyacahua 

Micaela Bastidas Puyucahua surnomée la « Zamba » est probablement la plus connue, pourtant les Péruviens et Péruviennes connaissent encore très peu son histoire. Rien que son lieu de naissance est sujet à controverse, certains historiens affirment qu’elle serait née à Pampanamarca, l’actuelle province de Canas, proche de Cusco, d’autres assurent qu’elle viendrait de Tamburco de la région d’Abancay et d’autres d’Abancay même. Les villes se disputent le prestige d’avoir vu naître probablement la plus grande figure féminine de la révolution. Ce qui est cependant plus vérifié est le fait qu’elle était la fille de l’Espanol Miguel Bastidas y et de Josefa Puyucahua, originaire des Andes.
Aussi grande oratrice que son mari, les historiens retiennent sa grande beauté et son charisme qui faisait effet sur les foules, ce qui permettait de fédérer de nombreuses communautés de Andes au mouvement révolutionnaire. Elle était analphabète et pourtant chargée de dicter les lettres à transmettre pour organiser les actions révolutionnaires. Elle faisait le lien avec les soldats envoyés de Lima par le libérateur San Martin. Une des transactions de lettres a mal tourné et les Espagnols l’ont attrapé et elle fût écartelée atrocement sur la Plaza das Armas de Cusco. Son implication dans la lutte pour l’Indépendance du Pérou n’est plus à prouver.

Sans traitement de faveur elle subira le même sort que son mari et ses enfants. Elle ne saura jamais de que 40 ans plus tard, le Pérou sera indépendant et libre de la royauté espagnole. 

L’exposition « Tupac Amaryu y Micaela Bastidas : Memoria, simbolos y misterios » (« Tupac Amaru et Micaela Bastidas : Mémoire, symboles et mystères ») à l’occasion du bicentenaire de l’Indépendance du Pérou, en 2021 mettait en lumière l’utilisation du nom de Tupac Amaru et celui de Micaela Bastidas dans ces différentes formes, représentations et supports. Une partie relativement conséquence était également consacrée à la commoration de Micaela pour son rôle important dans la logistique et préparation de la rébellion de Tupac Amaru. Elle était perçue comme son bras droit et participait activement aux réunions décisionnaires. 

Le simple fait de faire figurer le nom des deux personnages dans le titre de l’exposition montrent que les récits sont en chemin de s’ouvrir à ceux des figures féminines de l’Histoire du Pérou, même si cela reste relativement unique pour le mentionner.

Portrait de Tomasa Tito Condemayta, portrait à l’aquarelle utilisé pour les nouveaux timbres de la poste de Pérou, à l’occasion du Bicentenaire

Continuons par celle que l’on surnomme “la cacica de Acos”,  Tomasa Tito Condemayta, bien que de parents espagnols, s’identifie à la cause indigène, et investit toute sa fortune dans l’organisation de guérillas et recrute personnellement ses soldats.
L’une de ces luttes les plus remarquables fût la victoire du batallion de femmes du pont de Pilpinto, au-dessus du rio Apurimac, contrant les troupes espagnoles qui souhaitaient atteindre Cusco pour capturer Tupac Amaru. Elle participa également à la bataille de Sangararà à la tête du bataillon de femmes. En démontrant par son courage et son esprit de lutte, le rôle des femmes dans la quête de l’Indépendance, elle était un cible des Espagnols.  

La “luchadora” fût capturée par les troupes coloniales et écartelée, puis ces membres furent renvoyés à la place d’Acos, de Acomayo où elle était née.  

Rappelons-nous qu’à l’époque de la révolution péruvienne, les morts infligées étaient souvent très douloureuses et spectaculaires afin de montrer l’exemple aux autres. Sans aucun doute, le courage de Tomasa Tito Condemayta au nom des femmes péruviennes a été mis à l’épreuve et elle nous donne un exemple de foi et d’espoir pour un Pérou meilleur. 

Ce qui nous mène à notre troisième portrait, celui de Cecilia Túpac Amaru, dont le destin aurait pu se dessiner bien autrement.

 

Buste en platre de Cecilia Tupac Amaru sur la place Sicuani

Née en 1742 à Sicuani, sous le nom de Cecilia Escalera, orpheline, elle se fait adopter et élever par Marco Tupac Amaru et Marcela Castro Puyacahua. Elle a été un élément important dans les tâches administratives et logistiques avec Micaela Bastidas, la femme de Tupac Amaru que nous avons évoqué en première partie. Cecilia, grâce à son caractère agile et joyeux, motive les troupes indigènes avec grâce et malice pour les maintenir fermes et optimistes ; elle assura définitivement l’expulsion des « pukacuncas » de Cusco, en référence aux Espagnols. Épouse de Pedro Mendiguri et mère du jeune capitaine rebelle Andrés Túpac Amaru, elle sera cruellement martyrisée, fouettée, paradée nue sur un âne dans les rues de Cusco, et condamnée à l’exil. Pour seule commémoration, un simple buste sur la place de Sicuani, son lieu de naissance…

La mère de Tupac Amaru ne sera pas épargnée non plus. De nombreuses femmes ont été exilés durant la lutte pour l’Indépendance du Pérou, dont Marcela Castro Puyacahua, la mère de Tupac Amaru. Marcela et de nombreux comabattants capturés sont condamnés au bannissement perpétuel vers le Mexique et l’Espagne. Le groupe était composé de 75 femmes dont Marcela et 17 jeunes filles et adolescentes. Seules 15 personnes arriveront à destination, les autres ont péri de faim, de soif, d’épuisement, de naufrage et de maladie au cours de leur très long voyage. Marcela ne survivra pas ce très pénible trajet.

Les « rabonas » et toutes celles dont l’Histoire ne retiendra pas le nom   

Une révolution se prépare par la force du peuple et n’oublions pas que ce sont des mères, des épouses, des femmes, des sœurs qui ont participé à la diffusion des idées révolutionnaires, qui ont organisé des collectes, fait les « ollas communes », littéralement les casseroles communes afin de nourrir tous les participants du mouvement. On parle des « rabonas », qui vient de « rabón » qui sont des chevaux sans queue. Les rabonas coupaient leurs tresses afin de ne pas perdre de temps à se peigner. Lors des guerres, elles étaient en première ligne comme les soldats puisqu’elles étaient chargées de les nourrir et les soigner, elles accompagnaient souvent l’un de leur proche ou époux.  

Représentation d’une rabona avec un soldat par le peintre Francisco Pancho Fierro à l’aquarelle

Le peintre aquarelliste Francisco « Pancho » Fierro a rendu leurs histoires plus vivantes avec de nombreuses aquarelles les représentant dans leurs tâches à la guerre. Le terme de rabona sera repris également lors de la guerre du Pacifique.

Pensées révolutionnaires au sein de cercles littéraires féminins 

Les femmes des familles les plus puissantes de l’époque se joignent également à la cause de l’Indépendance. Beaucoup d’entre elles se réunissaient, au début pour parler de littérature sous forme de cercles littéraires ou alors de réunions-débats à thèmes, mais peu à peu le sujet de la liberté du Pérou a commencé à être abordé. Certaines finissent par s’engager activement dans la lutte : elles deviennent infirmières ou même espionnes, en cachant des soldats ou en offrant leurs bijoux contre de l’argent afin de financer les troupes. 

Parmi ces femmes notables qui ont assisté à ces rassemblements, on retrouve Rosa Campusano, Petronila Carrillo de Albornoz ou encore Antonia Morena de Caceres. Cette dernière est celle que l’on surnomme la « mère de tous les Péruviens ». Née en 1848, Antonia a passé la majeure partie de sa vie à Ica. Quelques années plus tard, elle installe avec son père dans la ville de Lima, où elle a rencontré celui qui allait devenir son compagnon, le colonel Andrés Avelino Cáceres.

Pour plus audacieux de ses exploits, elle a utilisé un cercueil pour simuler un enterrement, dans un plan qu’elle a qualifié de « stratagème macabre ». Dans le cercueil étaient cachées les pièces d’un petit canon qui serait d’une grande utilité pour Cáceres dans la Sierra. De cette manière, elle participait à la résistance. Au début de la campagne de la Breña à Jauja, l’armée a pu compter sur le soutien des femmes qui se trouvaient toujours à l’arrière-garde, et Moreno de Cáceres a été baptisée « Mamacha Antonia ». À l’âge de 67 ans, Mamacha Antonia meurt en laissant dans ses lettres l’exemple d’une femme patriote et combattante, mais surtout celui d’une excellente compagne de guerre.

Après de nombreuses relectures des écrits historiques, le place des femmes dans le processus de l’Indépendance du Pérou a été réévalué et enfin pris en compte. Nous aurions pu citer également les noms de Bartolina Sisa, Marcela Castro, de Ventura Mojarras, de Manuela Sáenz, de Maria Andrea Parado de Bellido, Juana Azurduy toutes ont été condamnées à mort et leurs biens confisqués pour avoir participé activement.

Nous vous retrouvons bientôt pour la troisième de la série « Pérou au féminin » qui sera dédié aux femmes oubliées du 19 et 20ème siècle.  

 

Pour en savoir plus sur l’histoire du Pérou et ses thématiques culturelles, ainsi que réaliser un voyage au Pérou, n’hésitez pas à nous contacter.

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Bertrand

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